mardi 1 juin 2010

Passer des mots à l'action

Les femmes du Zimbabwe sont un modèle de lutte pour l'égalité

J’ai lu récemment Electing to Rape: Sexual Terror in Mugabe’s Zimbabwe, un rapport de l’organisation AIDS Free World, une initiative optimiste et ambitieuse co-fondée par l’ex-Envoyé spécial des Nations unies, Stephen Lewis.  

D’une page à l’autre du rapport, s’étalent les récits de femmes victimes de viols et d’actes de brutalité horribles. J’en avais les tripes nouées. Même des femmes dont le lien avec l’opposition politique est extrêmement ténu ont été la cible de ces actes. J’ai dû interrompre ma lecture.

Ce n’était bien sûr pas la première fois que je prenais connaissance de la terreur à laquelle se heurtent les Zimbabwéennes. En novembre 2008, les partenaires de défense des droits des femmes de Carrefour ont tenu une rencontre à Cape Town. Pour les Zimbabwéennes, cette rencontre s’est révélée un véritable exutoire. Elles ont livré un témoignage accablant sur la violence faite aux femmes et leurs craintes d’en être victime, alors qu’elles travaillent sans relâche pour appuyer les femmes, individuellement, et pour revendiquer la fin de la violence dans leur pays.

Donc, quand j’ai appris que la Coalition des femmes du Zimbabwe, un partenaire de CCI, avait reçu le prix Betty Plewes du Conseil canadien pour la coopération internationale en reconnaissance de son travail de promotion des droits des femmes, j’étais au septième ciel.

Carrefour canadien international a reçu le prix au nom de la Coalition des femmes du Zimbabwe et de toutes ses membres à l’occasion de l’assemblée générale du CCIC à Ottawa le 27 mai, en l’absence de la coordonnatrice nationale de l’organisation, Netsai Mushonga, qui n’a pas pu obtenir de visa pour venir au Canada. Pour en savoir plus

Nous avons beaucoup à apprendre de ces femmes courageuses. En dépit de la brutale oppression et d’une crise économique d’une ampleur inimaginable pour nous, elles continuent de travailler et de faire entendre leurs voix.

Naturellement, il n’y a pas qu’au Zimbabwe où les femmes sont victimes de violence. Dans plusieurs pays où nous travaillons – Swaziland, Sénégal – la violence faite aux femmes demeure généralisée et débilitante. Qui plus est, le recours systématique à la violence à l’endroit des femmes augmente dans notre monde de plus en plus militarisé.

C’est pourquoi il est vital que nous, au Nord, prenions la parole. Non seulement devons-nous dénoncer la violence à l’endroit de nos collègues et amies du Sud, mais aussi nous porter à la défense de toutes les femmes.

Lors du débat qui a fait couler beaucoup d’encre Où est le leadership du Canada en matière de promotion de l’égalité entre les sexes et des droits des femmes – qui a réuni le 3 mai sur la Colline parlementaire des spécialistes des droits des femmes et des femmes politiques de toutes les allégeances) –, la sénatrice Nancy Ruth, qui défend depuis longtemps les droits des femmes, a adressé un conseil éclairé à ses homologues : « Fermez vos cri*#! de gueules » ou vous risquez de vous attirer des représailles.

Son conseil, bien qu’un brin dramatique, était stratégique et empreint de bonnes intentions. C’est cependant la réponse simple de la panéliste Lydia Alpizar, directrice générale de l’Association pour les droits des femmes et le développement, que je retiens : « Je connais très peu de droits qui ont été acquis en gardant le silence », a-t-elle affirmé. Elle a prévenu les Canadiennes que la fermeture manifeste de l’espace démocratique où débattre ouvertement de ces questions et faire valoir nos droits dans notre pays pouvait aussi avoir de graves répercussions pour les communautés du Sud qui en sont encore à lutter pour définir ces espaces.

Comme l’a souligné Lydia Alpizar : « Il n’y a pas de baguette magique pour faire apparaître l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes ». Des interventions comme l’intégration des questions relatives au genre, la microfinance et les systèmes de quotas pour l’accès des femmes à la vie politique sont toutes de bonnes idées pour lesquelles les femmes se sont battues. Mais « aucune d’entre elles, individuellement ou conjointement, ne va nécessairement mener à l’autonomisation des femmes. »

Qu’est-ce qui fonctionne ? Quel devrait être notre rôle ?

La réponse ne se situe pas seulement dans la teneur des programmes que nous mettons en place ou appuyons, mais aussi dans nos façons de faire. Notre rôle n’est pas d’apporter des solutions aux femmes du Sud, mais plutôt de travailler avec elles, d’investir dans leur potentiel, de défendre leurs droits et les nôtres. Tant au niveau local, comme le font les membres de la Coalition des femmes du Zimbabwe, qu’au niveau national et international, les femmes et les groupes de femmes sont les moteurs de la lutte pour l’égalité entre les sexes. Elles conçoivent et mettent en œuvre des stratégies pour permettre aux femmes de s’affranchir de la violence, d’accroître leur autonomie économique, d’affirmer leurs droits sexuels et à la reproduction, et de participer à parts égales dans une vaste gamme d’espaces politiques où sont prises les décisions qui affectent leur vie et leurs communautés.

Au lendemain du débat sur la Colline parlementaire, notre propre gouvernement a fait l’objet de vives critiques pour avoir sabré dans le financement de plus de 14 groupes de femmes, y compris celui de nos collègues de Match International, qui seront ainsi forcés de fermer leurs portes. Dans une intervention à la Chambre des communes au sujet des compressions budgétaires, l’honorable John Baird a déclaré : « Monsieur le Président, je vais être très clair. Notre gouvernement accorde un montant record de financement aux groupes de femmes. Nous avons un gros critère : nous voulons moins de causerie et plus d’action. »

Selon mon expérience de travail dans le milieu des droits des femmes au Canada et dans le monde depuis presque 20 ans, l’un ne va pas sans l’autre. Les droits ont préséance, les programmes pour atténuer les effets de l’inégalité suivent. Il est difficile de départir les organisations de femmes qui offrent des services de qualité de celles qui les ont exigés au départ.

La Coalition des femmes du Zimbabwe est un cas d’espèce. « Durant la violence, nous avons commencé à comprendre que nous devions intensifier nos efforts pour bâtir la paix et intervenir dans la vie politique de notre pays, a déclaré Netsai Mushonga dans un entretien à partir du Zimbabwe. Les femmes sont en très bonne posture pour mettre en place des changements sociaux positifs, a-t-elle ajouté. Pendant que certains hommes sont encore en « mode combat », des femmes investissent en développement et paix. Elles ne laissent plus l’espace public aux hommes ; elles l’occupent et y font valoir leur point de vue.

Bien que les gouvernements semblent mettre du temps à reconnaître cette notion fondamentale, nous avons la chance d’avoir au Canada un prix qui le reconnaît.