mercredi 31 mars 2010

Repenser l’efficacité du développement

Il y a quelques jours, j’ai rencontré une Carrefouriste qui m’a donné à réfléchir.

Marina Salazar est une volontaire de 32 ans de Cochabamba, en Bolivie. Elle travaille auprès de Foncresol, un partenaire de longue date de Carrefour qui s’attache à réduire la pauvreté en offrant des prêts pour le démarrage de petites entreprises à certaines des personnes les plus pauvres de la Bolivie.

Marina est venue au Canada pour travailler avec l’organisation Haida Gwaii Community Futures et les communautés des Premières nations de l’archipel Haïda Gwaii. Son pays est le plus pauvre d’Amérique du Sud : la vaste majorité de la population bolivienne vit avec moins de 2 $ par jour.

Le but que Marina s’est fixé dans le cadre de son mandat au Canada est pour le moins inattendu : aider les communautés des Premières nations à mettre sur pied des banques communales pour sortir de la pauvreté.

C’est un domaine qu’elle connaît bien. Marina aide des gens, surtout des femmes, à démarrer de petites entreprises. L’un des principaux outils qu’emploie Foncresol pour y arriver est la banque communale. Pratiquement incapables d’obtenir des prêts auprès des institutions de crédit conventionnelles, les femmes sont les principales bénéficiaires des banques communales. La seule garantie qu’elles offrent en échange de leur prêt est la confiance des unes envers les autres. « Ces initiatives, au-delà de leur objectif économique, aident les gens à exercer leur leadership, déclare Marina. C’est une démocratie. Les membres choisissent parmi eux un président, un trésorier et un porte-parole. Ces personnes doivent rendre des comptes et, en cas de départ d’un membre, elles doivent veiller au remboursement de son prêt.»

Depuis 11 ans, Carrefour appuie Foncresol de diverses manières. Des volontaires canadiens ont contribué à l’analyse du risque et à l’étude de marché ainsi qu’aux aspects plus pratiques du travail, comme la conception de systèmes. CCI a aussi permis à Foncresol d’élargir la portée de son travail auprès des femmes en fournissant des fonds aux fins de microcrédit. Foncresol appuie maintenant plus de 200 banques communales. Marina m’a parlé de femmes qui parviennent à subvenir de plus en plus aux besoins de leur famille, à envoyer leurs enfants à l’école et à prendre leur vie en main. Et peu importe ce qui arrive, semble-t-il, elles remboursent leur dette.

Marina a effectué un long séjour au Canada. Selon elle, il est rare qu’en Bolivie une femme occupe un poste comme le sien. « Ce poste m’intéressait beaucoup, mais je pensais avoir très peu de chances de l’obtenir. Je me disais : je suis Bolivienne, je ne parle pas la langue. Les gens dans le Nord sont intelligents. Que pourrais-je donc leur apprendre? ... Ça me faisait très peur. Mon patron m’a dit que je devais mettre tout en œuvre pour obtenir ce poste, et nous y avons travaillé pendant quatre ans. Le projet auquel je comptais participer avait pour but de mettre sur pied des banques communales dans des communautés des Premières nations, en collaboration avec l’organisation Community Futures. »

« Les membres des Premières nations ont de nombreux problèmes économiques et sociaux, mais ils veulent agir pour améliorer leurs conditions de vie et s’affranchir de la drogue et de l’alcool. Nos clients en Bolivie veulent la même chose. Je crois que partout sur la planète, les gens ont le même rêve. Les gens veulent se lever le matin tout en sachant qu’ils ont du travail et que leurs enfants auront de quoi manger ce jour-là, et le suivant. Quand je me promenais dans les rues à Haïda Gwaii, les gens me saluaient. Ils savaient que j’étais là pour les aider à mettre sur pied des banques communales. La confiance qu’ils m’ont témoignée m’a beaucoup émue. »

« Cette expérience m’a apporté beaucoup plus que je ne l’imaginais. J’ai constaté que les gens de mon pays n’étaient pas les seuls à avoir besoin d’aide. De différentes manières et sous diverses formes..., je peux apporter quelque chose aux gens, grâce à mon engagement. Ce fut l’expérience la plus extraordinaire de ma vie. Ce partenariat a renforcé mon engagement envers Foncresol. Je crois que je vais y travailler jusqu’à la fin de mes jours. »

Cette rencontre m’a fourni matière à réflexion. La même semaine, je prononçais l’allocution d’ouverture de l’une des consultations du Forum sur l’efficacité du développement des Organisations de la société civile (OCS) qui se déroulent dans plusieurs pays. Je dois dire que j’ai passé énormément de temps dans des salles de conférence à discuter de l’efficacité de l’aide, mais, comme il ressort de ce forum, le véritable défi est d’arriver à accroître l’efficacité du développement.

Le monde a changé. De profondes disparités subsistent entre le Nord et le Sud. Or, en de nombreux endroits – notamment en Bolivie – a émergé une société civile solide. Et ces acteurs du développement de plus en plus puissants ne sont pas avares de critiques envers leurs homologues du Nord.

En tant qu’OCS du Nord, nous contribuons maintenant à hauteur de 25 milliards de dollars aux efforts de développement. Les cinq plus grandes familles d’ONG internationales de développement fournissent à elles seules des ressources qui totalisent 6 milliards de dollars. C’est plus que certains gouvernements.

Nous pourfendons les dirigeants mondiaux et dénonçons l’échec des donateurs à répondre aux réalités changeantes des pays en développement. Or, nous commençons à peine à jeter un regard critique sur notre travail. En tant qu’OCS du Nord, incarnons-nous les valeurs de solidarité sociale, de participation, de transparence et de respect que nous prônons? Suivons-nous les orientations et les priorités des acteurs locaux? Réussissons-nous à contribuer à un développement qui favorise l’autonomie des populations pauvres et marginalisées et habilite les femmes à faire valoir leurs droits?

Notre collègue canadien, Bernard Wood, chef de l’équipe de l’évaluation internationale de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, a déclaré : « Tout développement est indigène, de sorte que les gens de l’extérieur qui veulent aider doivent d’abord et avant tout travailler en vue d’autonomiser et d’appuyer. Si nous essayons de dicter ou d’imposer des façons de faire, nos actions n’auront jamais de résultats durables. »

Je crois qu’à Carrefour, nous l’avons toujours compris. Il est probablement trop tôt pour évaluer si une jeune banque communale à Haida Gwaii améliorera la vie des Premières nations qui l’ont créée (bien que Marina en soit convaincue), mais nous savons d’ores et déjà que notre partenariat avec Foncresol améliore la vie de Boliviennes. Marina, pour sa part, considère dorénavant les enjeux auxquels se heurtent la population de son pays et les communautés de Haida Gwaii comme des enjeux mondiaux, et elle croit pouvoir contribuer à leur solution.

L’activiste et éducatrice autochtone australienne, Lila Watson, a déjà dit : « Si vous êtes venus ici pour m’aider, vous perdez votre temps... Mais si vous êtes venus parce que votre libération est liée à la mienne, et bien travaillons ensemble. »

Ce principe est au cœur de l’approche de Carrefour. Bien que l’inégalité d’accès aux ressources et des obstacles culturels et linguistiques nous séparent, nous sommes tous inextricablement liés dans une cause humaine commune. Chaque jour, nous travaillons à éliminer ces obstacles pour bâtir notre avenir commun.